Ligne Orange.
Station Beaubien.
Matin.
Humide.
Pluvieux.
À l’extérieur des murs souterrains
du métro, un orage.
Du tonnerre, même...
Ici et là.
On dit souvent que la mauvaise
température est directement associée aux agisemments des gens qui la subissent…
Oh well.
Dans le wagon, on tue le temps
comme on peut.
Indépendamment de notre look ou
encore de notre situation personnelle/professionnelle, tous les moyens sont
bons pour anéantir cette bête maudite, quotidienne, récalcitrante.
Mots croisés, ebook, livre papier,
revue, tricotage, fouillage dans le nez, etc.
À côté de moi, un nerd boutonneux joue à Angry Birds sur son téléphone (plus) intelligent (que lui). Derrière moi, une couple
d'amoureux lit Fifty
Shades of Grey, le feu dans les yeux... Quelques pas plus loin, un homme
d’affaires consulte le manuel d’instruction de son nouveau joujou (iPhone).
Certains sentent bon, d’autres
puent.
Certains sont beaux, d’autres laids.
La race humaine est un véritable
zoo!
Soudainement parmi l’air recyclé
qui nous est craché par les ventilateurs crasseux, une brise fraîche parvient à
mes narines.
Mes poumons en font le plein
automatiquement. Un parfum de rose exquis tranche l’air artificiel et avec sa
trace, mille souvenirs renaissent dans mon esprit…
Tout d’abord, celui de mon
professeur d’anglais du cégep Edna, qui portait ce même parfum inoubliable.
Puis, les jardins de roses de
Martha’s Vineyard dans le Maine en plein été. Je marche comme un funambule,
hypnotisé par cette potion magique, en direction de la source de tous ces
plaisirs oflactifs.
Chemin faisant, je croise des
légions d’odeurs malfaisantes : sueurs infernales, bagel déjeuner à saveur
de vomi, haleines à réveiller les morts, sous-vêtements poisseux, etc.
Miracle, à quelques squelettes de
moi, un banc libre. Autour de ce dernier, un vieillard à la canne
tremblottante, une femme trop enceinte, un étudiant en béquilles ainsi qu’un
mendiant affaibli par mille et une nuits d’abus et d’insuffisance alimentaire….
Je m’approche. Plus proche. Encore
plus proche. J’attends de voir si quelqu’un va prendre ladite place. Je l’offre
à tout le monde. Mais personne ne la prend. Je m’élance. Je m’asseois. Tout le
monde continue ses activités comme si de rien n’était.
Quel bonheur de m’être enfin rapproché de
ce jardin de roses…
Je cherche la source des yeux et je
réalise tout à coup que c’est la petite vieillarde assise à mes côtés qui
dégage ces exquises effluves. Odeurs bienfaisantes. Kalpin à la main, elle
écrit. Ses pommettes rouges et ses cheveux blancs bouclés lui donne un air à
croquer. Probablement une grand-maman des plus cools…
« Votre parfum est tout à fait
exquis », dis-je à la sextogénaire…
« Merci, votre politesse me séduit
l’âme », répondit-elle sur un ton monocorde des plus zen…
Je me questionne à savoir ce
qu’elle est en train d’écrire dans son petit kapelin jaune. Liste d’épicerie,
recette de tarte?
« Ni un ni l’autre, mon cher »,
s’exclame ma voisine sans même qu’un seul mot sorte de ma bouche…
« Mais quoi alors », dis-je,
estomaqué par l’étrangeté du moment.
« Suis en train de fabriquer la
playlist de mes funérailles », m’explique-t-elle.
Mais elle a l’air si en santé…
« La vie ne nous appartient pas.
Elle nous est prêtée, un peu comme une location de voiture. Tôt ou tard, il
faut redonner les clefs au propriétaire. Les ténèbres peuvent évincer la
lumière à n’importe quel moment, vous savez », lance la femme au parfum
salutaire, en me regardant droit dans les yeux.
Je vous souhaite de conduire votre
véhicule encore longtemps...
Cette phrase mourut dans sa tête
avant même de pouvoir franchir le seuil de ses lèvres; la tête de la dame alla se fracasser contre la fenêtre, son cerveau éclatant instantanément sous le
choc de l’impact. Le Seigneur l’accueillit à bras ouverts dans son jardin
fleuri.
La collision des deux trains dans
le sousterrain projetta le corps de la femme enceinte contre un des parois du
véhicule, son énorme bedon alla s’écraser contre le métal, broyant du coup le
fœtus en une bouillie incadescente.
Le corps du veillard fut transpercé
par sa propre canne, aspergeant les autres voyageurs de ses fluides internes.
L’étudiant aux jambes plâtrées
tomba à la renverse, son corps pulvérisé par le poids des centaines de corps
décapités tombés sur lui…
Le mendiant attrapa un sandwich au
vol avant d’aller s’écraser contre un banc : mourir le ventre plein avait
toujours été l’un de ses plus grands fantasmes…
Pour ma part, j’eu juste assez de
temps pour jetter un coup d’œil au karnet de ma défunte voisine avant qu’il
soit projetté dans les airs pour m’inspirer à savoir ce qu’aurait pu être ma
propre RIP playlist avant de fermer les yeux à jamais.
J’espère au moins
que le Paradis sentira les roses…